Secondes vies
Le club d’écriture Contreforme entame aujourd’hui sa première révolution, au sens astronomique du terme, en lançant un premier cycle d’écriture consacré aux Secondes vies. C’est aussi pour moi l’occasion de refondre en profondeur le club, pour que cette première révolution ne soit pas seulement un mouvement circulaire mais aussi une transformation radicale.
Suivez votre imagination, je vous prie, et entrez dans la ronde.
Le mode multijoueur de la littérature
À compter d’aujourd’hui, les salons et la lettre du club seront hebdomadaires. La lettre, gratuite pour tous, paraîtra le vendredi soir et le club continuera de tenir salon le jeudi à 21 heures UTC+2 pour discuter des textes de chacun. Les salons sont réservés aux seuls membres du club. Eh oui.
Quand je lançai, dans ma lettre du 16 avril 2021, le premier « bœuf » du club, soit un atelier d’écriture consacré à l’improvisation sur un thème donné, je ne me doutais pas que ça allait transformer à jamais le fonctionnement du club. C’était comme si on avait découvert par hasard le mode multijoueur de la littérature.
Le club rassemblait jusque-là des lecteurs attentifs à mon travail, que ce soit sur le site ou sur la chaîne YouTube, et assez généreux pour me soutenir. Il réunit désormais des écrivains que je lis et soutiens par mes conseils et mes encouragements. Voyez comment on renverse une perspective par un simple email.
Après une quinzaine de bœufs, la raison d’être de ce club s’est chaque mois davantage affirmée : inspirer, guider et soutenir sur le long terme votre pratique de l’écriture. Mais un rendez-vous par mois ne suffit pas, ne serait-ce que pour moi, à mettre en place une routine d’écriture et maintenir son élan. Il est temps d’accélérer et d’annexer les autres semaines du calendrier. (La littérature, éternelle minoritaire, finit toujours par s’arroger le tout. La mal élevée.)
Dans cette lettre décisive d’avril 2021, j’écrivais :
Si Kundera définit le roman comme « une méditation sur l’existence vue au travers de personnages imaginaires » (L’Art du roman), il en assimile les thèmes à des interrogations existentielles. Les écrivains les plus marquants sont ceux dont les interrogations redéfinissent ce que peut montrer un roman.
Mon ambition pour la lettre du club est de vous montrer, en partageant les miennes, comment transformer vos interrogations existentielles en fictions. Ce sera l’occasion d’écrire des histoires très personnelles – sans qu’elles soient aucunement autobiographiques – pour s’accomplir par une pratique régulière et les retours de ses pairs. Vous pouvez consulter la page du club si vous souhaitez en savoir plus. Si toutefois vous préférez écrire en solitaire (et j’en connais), la lettre est gratuite et saura renouveler chaque semaine votre pratique de l’écriture.
Je montrerai ainsi le travail en train de se faire, et non une œuvre finie, hermétiquement polie, toujours plus difficile à démonter pour comprendre comment ça fonctionne. J’invite ainsi – mieux, j’encourage – les membres du club à bricoler des bouts de fiction avec les pièces détachées (interrogations personnelles, pistes et références) que je fournis dans mes lettres. Qu’ils s’en emparent sans vergogne, les idées flottent tout autour de nous et n’appartiennent à personne. L’assemblage est laissé à la discrétion de chacun.
Travailler par cycles thématiques présente l’insigne avantage de nous laisser le temps de glisser, nonchalamment et mine de rien, du personnel à l’universel, c’est-à-dire d’approfondir lesdits thèmes. Cela consiste d’une part à identifier et intensifier les contradictions internes génératrices de conflit, d’autre part à élargir la question initiale. Nous verrons comment au cours de cette traversée de quelques-unes de mes interrogations existentielles.
Secondes vies
J’ai choisi pour ce premier cycle un thème de circonstance : Secondes vies (au pluriel, à ne pas confondre avec le jeu Second Life). Il est important de nommer ses thèmes, cela crée une perspective fédérant des éléments sans elle disparates, et un repère mental pour se retrouver dans son imagination. Je nomme secondes vies les tentatives, souvent maladroites et infructueuses (dignes ainsi de mes plaintes et de mes faveurs), de s’offrir une nouvelle vie. La Vita Nuova, écrivait Dante pour ranimer Béatrice. Non pas seulement refaire sa vie, mais faire revivre une existence condamnée au passé, à l’oubli, à la mort. Le second sens contrecarre d’ailleurs bien souvent le premier. Le passé envahit le présent, le héros par son imprudence détourne le cours du temps, dont un méandre se referme sur lui et le coupe du moindre avenir. C’est cette tension interne qui m’intéresse et que je vous encourage à explorer.
Les dieux semblent réprouver la transgression – l’hubris ! – que représente pour eux une seconde vie. Tempérament rêveur, grommellent-ils, avant d’envoyer leur aigle de compagnie dépecer à l’infini le bonheur de l’imprudent. Pas de revenant pour le contrevenant : Gatsby rêve d’une seconde chance avec Daisy et échoue ; Scottie et Madeleine/Judy (Vertigo), échec ; Orphée et Eurydice, idem. Notez bien qu’à chaque fois l’échec est double : on perd encore un amour déjà perdu. Cet encore-déjà est ce qui rend ces tragédies si poignantes. Comme si perdre une fois ne suffisait pas, il fallait que le sort s’acharne sur nos tristes amants. Les Moires veillent à ce que chacun tienne son rang. J’embrasserai quiconque les contredira.
Je vous parlerai la semaine prochaine d’un article passionnant que Chris Marker a consacré au chef-d’œuvre d’Hitchcock : « A free replay (Notes sur Vertigo) » (Positif, n° 400, juin 1994). Comme « c’est long d’attendre », pour citer ma fille de trois ans, je ne peux m’empêcher de vous confier ce court extrait en attendant d’en dire plus dans ma prochaine lettre :
On ne ressuscite pas les morts, on ne dévisage pas Eurydice. Scottie aura reçu le plus grand bonheur qu’un homme puisse imaginer, une deuxième vie, en échange de son plus grand malheur, une deuxième mort.
Si Virgile sert de guide à Dante dans sa visite de l’au-delà, nous invoquerons pour cette traversée des secondes vies la présence tutélaire de Gatsby le magnifique, à lire ou à relire pendant le cycle.