Intermède à la citadelle de Kowloon
Je profite de cet intermède entre deux cycles d’écriture pour vous proposer, en guise de respiration, une autre manière de travailler que l’approfondissement d’un thème. Ça me permettra aussi de souffler un peu en attendant de récupérer du Covid que je traîne depuis une semaine. (À ce propos, j’ai dû reporter à jeudi prochain la conférence sur Gatsby le magnifique qui était prévue hier soir ; vous pouvez encore vous inscrire et découvrir « Le Secret de Gatsby ».) Pour ce premier intermède, je fixe comme contrainte le cadre de la micro-fiction que vous écrirez ce week-end : la citadelle de Kowloon (ou Kowloon Walled City en anglais) avant sa démolition en 1993.
La « ville murée » de Kowloon me fascine depuis que j’en ai entendu parler. Certains cadres ne servent qu’à délimiter une histoire, d’autres les génèrent. La citadelle de Kowloon fait partie de ces derniers. Je crois que c’est dû au fait qu’elle a évolué en vase clos, en dehors de toute juridiction ou planification, proliférant de cette manière très organique que les bureaucrates appellent « anarchique », non par expansion, mais par densification ; elle est devenue un écosystème à part entière, aussi riche et touffu que celui d’une forêt tropicale. Une étude gouvernementale de 1987 évalue la population de la citadelle à 33 000 personnes (d’autres estimations avancent même le chiffre de 50 000), entassées sur 2,6 hectares, soit une densité de population de près de 1,3 million d’habitants par kilomètre carré, faisant de la citadelle de Kowloon la zone la plus densément peuplée au monde.
Le mur d’enceinte de ladite citadelle est tombé bien avant que la « ville murée » de Kowloon ne soit démolie. Enclave chinoise au sein de la colonie britannique de Hong Kong, sans que l’une ou l’autre puissance ne s’en préoccupe, la citadelle abandonnée attira après la Seconde Guerre mondiale toute une diaspora de marginaux et de hors-la-loi. Échafaudant au sens propre comme au sens figuré une nouvelle vie, ils s’entassèrent dans des habitations insalubres bâties les unes sur les autres. Se superposa bientôt au tracé des ruelles originelles un autre labyrinthe, vertical celui-ci, de corridors humides et d’escaliers sombres, où quelques néons peinaient à remplacer la lumière du jour. Vinrent les Triades, qui installèrent leurs bordels et tripots, mais même elles n’ont sans doute pas contrôlé ce lieu qui échappait à toutes les autorités. En son cœur existait un temple, qu’un filet tendu au-dessus de son toit protégeait des ordures ménagères que l’on jetait par les fenêtres.
De la citadelle de Kowloon, il ne reste aujourd’hui qu’une maquette en bronze dans le parc qui occupe aujourd’hui son emplacement ; elle ressemble à un monochrome de briques de Lego.
Pour vous documenter, je vous invite à écouter le podcast 99% Invisible (en anglais), qui a consacré un épisode à la citadelle de Kowloon, et à consulter Wikipédia, dont la notice est assez bien fournie en français, mais plus développée en anglais. Enfin, j’ai découvert sur YouTube un documentaire allemand, avec sous-titres anglais, qui permet de se rendre compte de l’insalubrité des lieux.
La citadelle de Kowloon a peut-être été démolie, mais l’entassement humain continue. Une série photographique de Benny Lam sur les coffin cubicles (littéralement une cabine-cercueil) de Hong Kong me rappelle certains passages de Neuromancer de William Gibson, où la misère humaine côtoie les hautes technologies.