9 conseils paradoxaux pour devenir écrivain
On n’apprend guère que de soi-même : il est difficile d’enseigner. — Odilon Redon, À soi-même.
En vue de célébrer la cinquantième lettre du club, qui vous parviendra vendredi prochain avec moult feux d’artifice, j’avais envie d’aménager un peu le format habituel et de vous proposer 9 conseils (nécessairement) paradoxaux pour devenir écrivain. Ce sont, dans le désordre, quelques principes essentiels de ce club d’écriture. Suivez-les tous, n’en suivez aucun, vous êtes libre.
— Vraiment, vous l’êtes. Seulement parfois, nous ne le savons pas ou n’avons qu’une connaissance théorique de cette liberté, sans jamais en jouir.
La finalité de ce compagnonnage littéraire va au-delà d’un simple apprentissage de l’écriture dite créative. Certains membres du club savent déjà très bien écrire, parfois mieux que moi, mais achoppent néanmoins sur le tao qu’est l’écriture d’un livre. Bloquer n’est pas manquer de talent, mais en mésuser.
La prémisse de tout apprentissage, de toute transformation (qui en est aussi le but véritable), est d’arrêter de se mettre en travers de son devenir, de son œuvre, et de commencer, en l’occurrence, à écrire ce que nous sommes seuls capables d’écrire. Notre génie personnel ne se cache ni dans notre encrier, ni derrière le curseur clignotant de notre traitement de texte, mais en nous et en-deçà de nous, dans ce fond primordial, cette nuit intérieure où il s’agit de se laisser lentement glisser en une chute libre perpétuelle.
C’est une source de vitalité et d’audace, une exaltation sans pareille des capacités de réussite de l’être humain. L’atteindre, c’est comprendre comment marcher sur des braises : on les piétine tout en se persuadant du contraire – allons, ce n’est pas sur elles que j’avance, mais sur le courant d’air de mon inspiration. Ah, cette absence soudaine de résistance. On reconnaît la liberté à ce qu’elle est jubilatoire. Je doute de l’existence d’un seul génie morose.
Voici donc sans plus attendre mes 9 conseils paradoxaux pour devenir écrivain.
Ne suivez d’autre conseils que les vôtres
Votre regard est tourné vers le dehors ; c’est cela surtout que maintenant vous ne devez plus faire. Personne ne peut vous apporter conseil ou aide, personne. Il n’est qu’un seul chemin. Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s’il pousse ses racines au plus profond de votre cœur. Confessez-vous à vous-même : mourriez-vous s’il vous était défendu d’écrire ? — Rainer-Maria Rilke, Lettres à un jeune poète.
J’ajouterais : mourriez-vous si personne ne vous lisait ?
Les conseils n’engagent que ceux qui les suivent (et le font sans parfois même les ressentir, comble de l’imprudence). Ceux qui les donnent le font de très loin, sans jouer leur peau ou leur honneur, et devraient s’abstenir de toute ingérence dans un processus délicat qu’un rien déséquilibre.
Outre que chacun est ravi de pouvoir donner son avis sans s’embarrasser de la moindre compétence, c’est surtout que chacun essayera de tirer à lui votre roman, de le modeler selon son goût (ou son absence de goût), et sans même vous en rendre compte, vous tentez déjà de vous concilier les bonnes grâces de chacun. Partant dans toutes les directions à la fois, votre histoire fera du surplace.
Cela ne veut pas dire que vous ne devriez pas demander de l’aide, mais l’affaire ne saurait souffrir autre chose qu’un alignement parfait entre votre conseiller et vous. Et un seul suffit ; on ne compte plus les livres ruinés par un entourage de lecteurs bien intentionnés. L’idéal serait de trouver quelqu’un qui vous aide à assumer votre sensibilité, votre manière de voir et de faire, quelqu’un qui vous donne les conseils que vous vous donneriez si vous aviez davantage confiance en vous.
Lire aussi à ce sujet « Tuez vos lecteurs ».
Laissez vos écrits vous réécrire
De la même manière qu’il faut évincer ses lecteurs, il faut aussi congédier son ego, du moins le temps de l’écriture. Un avis, le vôtre comme celui d’un autre, n’est que ça, un avis. Une intention est aussi un avis, sur quelque chose qui n’existe pas encore et sur lequel il est facile de fantasmer. M’étonneront toujours ces écrivains qui viennent me voir avec en tête une idée très détaillée de ce à quoi devrait ressembler leur livre. Ils sont tout étonnés de devoir se confronter à la réalité : l’idée ne fonctionne pas, le plan est bancal, il faut supprimer ou réécrire les premiers chapitres, etc. Comme dans tout bon film de braquage, rien ne se passe comme prévu, et au lieu de vous préparer davantage, embrassez plutôt l’imprévisibilité de la création et laissez vos écrits vous réécrire. Est-ce qu’un rêve se planifie ?
Écrivez avec l’imagination du lecteur
C’est le seul défaut rédhibitoire. J’en ai assez parlé ailleurs (partout) pour ne pas m’appesantir dessus. Manquer de solliciter l’imagination du lecteur, c’est insulter son intelligence en lui imposant des sous-titres pour s’assurer qu’il comprenne bien ce que vous vouliez lui dire. Vous n’avez pas besoin de dire quoi que ce soit, il suffit de montrer. Des images, montrez-moi des images !
Pour bien écrire, écrivez beaucoup
La quantité ne s’oppose à la qualité que dans l’esprit étroit des perfectionnistes. J’attends encore d’en rencontrer un seul qui écrive bien.
Écrivez sans vous relire, puis relisez-vous beaucoup et réécrivez
… le bizarre procédé de travail de Sebastian consistant, en cours de composition, à ne pas biffer les mots qu’il venait de remplacer par d’autres… — Vladimir Nabokov, La Vraie Vie de Sebastian Knight.
Conseil que je ne suis pas toujours. J’aime assez pourtant la méthode de Sebastian Knight, qui permet d’écrire sans trop s’encombrer de ses propres maniaqueries. L’important est d’avancer en laissant l’avenir prendre soin de lui-même – suivront de nombreuses réécritures. Le tout est d’être maniaque et détendu, pas forcément en même temps ou dans cet ordre.
Fuyez les généralités, embrassez les particularités
L’art est à l’opposé des idées générales, ne décrit que l’individuel, ne désire que l’unique. Il ne classe pas ; il déclasse. — Marcel Schwob, « L’art de la biographie », in Spicilège.
Les généralités, en plus d’être pour la plupart des idées reçues ou des évidences, sont trop nébuleuses pour montrer quoi que ce soit d’intéressant. Aussi larges et imposantes qu’une doudoune oversize, ces abstractions ne montrent rien de la vie sous-jacente. L’Homme et la Femme n’existent pas, mais toujours et seulement un homme, une femme, pris dans des situations particulières, inextricables d’un passé qui leur est propre et ombrage une possibilité d’avenir, que le dénouement se chargera de transformer en nécessité.
Apprenez à vous contredire
J’ai admiré son esprit de dispute, capable de le faire se retirer de son propre avis, aussitôt qu’il voyait son contradicteur prêt à s’y ranger. — Léon Daudet à propos de Ferdinand Brunetière, directeur de la Revue des Deux Mondes de 1893 à 1906, dans ses Souvenirs littéraires.
Car il ne s’agit pas d’avoir raison ni d’être cohérent, mais de s’accorder la liberté de ne pas être soi d’une manière qui soit, pourtant, personnelle. La vie n’est pas cohérente (elle n’est même pas réaliste, encore moins crédible). Devenez assez vaste pour engloutir une mer de voix dissonantes. Ce seront vos personnages.
Conjuguez votre talent au futur
Celui qui se lance dans une entreprise atroce doit s’imaginer qu’il l’a réalisée, il doit s’imposer un avenir irrévocable comme le passé. — Jorge Luis Borges, « Le Jardin aux sentiers qui bifurquent », in Fictions.
Remplacez atroce par admirable, et vous obtenez le secret de toute persévérance dans son être.
Amusez-vous
C’est assez difficile comme ça, inutile d’en faire une corvée.