Le sondeur du temps profond
Poème spéculatif.
Sondeur du temps profond, tu plonges loin dans l’avenir et le passé, Terre et humanité méconnaissables, peut-être inexistantes ou scindées, toutes les langues sont mortes, et tant de livres illisibles que des larmes te viennent. Tu récupères leur sel pour la pile de ta sonde, de quoi assurer ton retour.
Tu ne cilles pourtant pas en voyant surgir et disparaître des civilisations entières en moins de temps qu’il n’en faut pour te moucher. Les mêmes rêves de grandeur finissant dans le sable ne t’émeuvent plus. Tu as cessé de croire en la postérité. Notre existence braillarde représente à peine une vertèbre sur l’échine du temps profond qui traverse les strates géologiques et renverse le ciel. Inutile de lever la tête – à ces échelles, tout devient flou et indécis, et l’on est plusieurs choses à la fois.
Mais au lieu des sempiternelles angoisses pascaliennes, tu y trouves un étrange réconfort. Tu ne reconnais rien, mais l’inverse est aussi vrai : il n’y a personne pour te reconnaître (et peut-être n’y a-t-il véritablement personne). Intrus voyageant incognito, tu es seul au monde et tu souris. Un écrivain que j’aime, Milanais d’adoption, t’envierait presque. L’indifférence te sied.
Tu repars avant de trébucher dans je ne sais quel présent – le mien peut-être ? Évite-le, crois-moi, je ne voudrais pas que tu y restes pour un amour qui te presse. Spéculer, c’est temporiser. Les meilleurs sursoient ainsi à épuiser une vie.