Accordez-vous le moins de temps possible
Le secret pour finir quoi que ce soit (votre roman par exemple) : accordez-vous le moins de temps possible.
Si vous peinez à finir le manuscrit de votre prochain roman, vous n’êtes pas seul(e). Vous avez l’impression qu’il y a toujours quelque chose à améliorer, changer, ajouter, retrancher ou déplacer. Il y a des chances que ce ne soit pas le cas, mais l’expression d’une peur somme toute compréhensible, celle de ne pas faire assez bien.
Je suis comme vous, et à chaque fois que je laisse cette peur me guider, j’écris moins bien et lambine en fignolant des détails pour ne pas me confronter au tout achevé. Non seulement ça m’empêche de finir, mais ça me coupe des retours que je pourrais recevoir pour m’améliorer. Les gens de mauvaise foi appellent cela « le perfectionnisme », j’attends encore d’en rencontrer un seul qui écrive bien.
Heureusement, il y a une simple échappatoire à ces atermoiements, qui vous permettra de finir à coup sûr et d’éprouver l’immense satisfaction du travail accompli. Je n’arrive pas toujours à l’appliquer, mais dès que je la mets en œuvre, comme aujourd’hui par exemple, je parviens à un résultat tangible. (Et au cours des années que mange l’écriture d’un roman, vous aurez besoin de beaucoup de ces résultats tangibles intermédiaires pour garder le moral.) C’est ce qui me permet chaque semaine de vous envoyer cette lettre. Le secret est de commencer au dernier moment.
Accordez-vous le moins de temps possible.
Le travail a tendance à occuper tout l’espace qu’on lui alloue, et l’intensité avec laquelle on écrit semble s’accroître au fur et à mesure que le temps vient à manquer. Plus on s’approche de la fin, plus on travaille avec acharnement. Il faut dès lors que le terme semble toujours un peu plus imminent qu’on ne souhaiterait pour augmenter ses chances de finir. Aussi accordez-vous le moins de temps possible.
C’est pourquoi se fixer une date butoir ne suffit pas. Donnez-vous deux ans pour écrire un roman et vous perdrez la première année à procrastiner ou planifier. Non seulement il faut se fixer une date butoir, mais la fixer le plus près possible de soi et qu’elle reste là. Sans cet élément de tension, vous risquez de faire traîner les choses jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour terminer dans les temps. De là les sempiternels reports d’échéance. Plus l’échéance est lointaine, plus on risque de la reporter.
Vous me direz qu’il est plus facile de finir une lettre qu’un roman, et vous aurez raison. Mais ce qui ne change pas, c’est la quantité moyenne de travail que vous êtes capable d’abattre en une séance d’écriture, quoi que vous écriviez. Un roman s’écrivant par étapes, si vous parvenez à les délimiter pour atteindre chacune d’entre elles en une seule séance, vous finirez à chaque fois ce que vous entreprenez.
C’est pourquoi je ne vous laisse que 48 heures pour écrire vos contributions de la semaine, et d’ailleurs sans doute ai-je tort : je parie que 24 heures suffiraient. Je lève ici une très majestueuse main préventive contre des objections que je devine très bien, vu que je me les oppose à moi-même (si cela est possible ou même français) dès que je manque de temps. Au lieu d’espérer un miracle (des journées aux heures indénombrables par exemple), il s’agit d’apprendre à faire avec ce qu’on a. Raymond Carver aurait deux ou trois choses à dire sur le sujet, mais le temps, Madame, Monsieur, le temps vient à manquer. Aussi rassurez-vous, nous continuerons d’avancer sur ce rythme relâché pour apprendre une leçon essentielle : mieux vaut raccourcir ce qui peut être entrepris que d’allonger la durée nécessaire pour l’accomplir.
Le manque de temps est un précieux allié, il vous donne le courage de retrancher « tout ce qui dépasse », c’est-à-dire tout ce qui n’est pas assez fini pour mériter d’être lu. Vous obtiendrez quelque chose de partiel, mais d’achevé. Et vous garderez des réserves dans lesquelles puiser pour la séance suivante (ou le livre suivant).
Que pouvez-vous accomplir aujourd’hui qui vous rapproche de la fin ?
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