La perfection n’a rien d’extraordinaire
Nous pourrions prendre exemple sur le très consciencieux protagoniste de Perfect Days, le film de Wim Wenders, qui nettoie les toilettes publiques de Tokyo avec un soin tout japonais (et non, puisque son collègue tout aussi japonais que lui préfère parler au téléphone avec sa copine plutôt que de s’appliquer). Nous suivons Hirayama au quotidien, avec un art de la répétition (les infimes variations que cela nécessite !) qui n’est pas sans rappeler Hong Sang-soo ou Le Gourmet solitaire de Jirō Taniguchi, et une absence de drame, ou du moins son atténuation par une disposition au bonheur qui n’est peut-être que l’art d’être présent.
Vous pouvez parier qu’il n’a pas internet – c’est à peine s’il utilise un dumbphone. Aucune distraction ne vient troubler sa tranquillité. Il ne fait jamais qu’une chose à la fois et l’accomplit avec la plus grande diligence, qu’il s’agisse d’arroser ses plantes, de récurer des chiottes que compissent au petit matin des salarymen titubant d’ivresse, de prendre des photos de la frondaison des arbres où jouent le vent et le soleil, de lire des livres de poche achetés d’occasion ou d’écouter l’une ou l’autre des cassettes audio de sa collection. Modeste vie, excellent goût, BO parfaite – on en viendrait presque à comprendre qu’un dieu jaloux ait inventé le mauvais goût pour nous punir de notre élégance.
Et si Hirayama parle si peu, c’est justement parce qu’il est trop attentif à ce qui l’entoure pour s’en distancer par le langage. Les mots ne lui sont d’aucun secours pour exprimer son étonnement permanent, et c’est pour suppléer à cette carence que l’humanité a inventé la poésie. Ou est-ce moi qui tente de rationaliser ma nette préférence pour une vie mutique et contemplative (sauf quand il s’agit de parler de littérature, et là je ne m’arrête plus) ? Mon idéal est un film muet où chacun répondrait à l’autre par écrit, où chacun serait à tour de rôle lecteur et écrivain. Le recours à l’écrit impose une attention accrue, un rythme plus lent qui invite à la réflexion, un détachement éventuel de ses passions (l’existence même des pugilats par tweets me dissuade de trop y croire).
La réserve de Hirayama n’empêche pas des instants de convivialité, dans les bains publics où il se lave comme dans les petits restaurants où il dîne. Il passe parfois la soirée dans l’un de ces minuscules bars d’habitués que compte le Japon, où le touriste est accueilli par un Members only bougon qui dément la politesse proverbiale des Japonais (à moins que ce soit le défaut de prononciation qui m’ait donné cette impression).
La mention discrète d’un père qu’il refuse de voir (on n’en saura pas plus) prouve qu’il n’est pas sans son lot de malheurs et évite d’en faire un parfait benêt. L’arrivée de sa sœur sortant d’une voiture avec chauffeur suggère en outre qu’il fait ce métier (dont sa famille moins sa nièce semble avoir honte) par choix et non par manque d’opportunités. La simplicité de son mode de vie est une richesse incomprise.
Nous pourrions prendre exemple sur Hirayama. Écrire des lettres, prendre des notes, répéter – rien d’extraordinaire. Nous n’écrivons pas pour être lus, aimés ou célébrés, mais pour le plaisir d’écrire des phrases qui rendent l’existence plus vivante. La plénitude est l’autre nom de la perfection.
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