Les Anneaux de Saturne

Sur Sebald, mélancolique sans être gai.

Les Anneaux de Saturne
James McNeill Whistler, Harmony In Blue And Silver: Trouville (détail), 1865. Source : Isabella Stewart Gardner Museum.

J’ai enfin réussi à « entrer » dans Les Anneaux de Saturne, de W. G. Sebald, que malgré un titre prometteur j’avais laissé en plant il y a très longtemps, au profit de je ne sais qui de plus enjoué. Non que je revienne beaucoup sur ce que j’aurais à lui reprocher, mais enfin, je vois mieux l’intérêt qu’on lui trouve. Ah, quel piètre apologiste je fais.

L’épaisseur de ses phrases, dont je ne peux pas dire que beaucoup m’enchantent (aucune modulation de rythme ou de ton, peu d’images marquantes, quelques clichés, et une absence d’humour, d’humour, d’humour – ne moquez pas l’écrivain sérieux, me reprend Susan Sontag, que vous interrogerez pour l’analyse sérieuse, je suis désormais trop vieux pour trouver ça drôle), l’épaisseur de ses phrases m’avait sans doute tenu à l’écart. C’est pourtant cette même épaisseur qui permet à Sebald d’avoir une qualité qui l’emporte sur toutes mes réserves, celle de fondre, dans l’uniformité accablante de son rythme de randonneur, des matériaux et des genres très disparates, et d’inventer ainsi une forme nouvelle de littérature, dont la structure lâche est fascinante de liberté.

Les citations et digressions sont nombreuses et constituent même l’essentiel du livre, mais chez Sebald le faussaire, qui n’utilise jamais les guillemets et ne cite pas toujours ses sources, la paraphrase n’est jamais loin du plagiat. Cela produit un hypertexte incongru, où les passages Wikipédia auraient mérité une plus grande compression, voire pour certains une suppression quasi totale. L’hypertexte parfait étant totalitaire, à l’image des miroirs que les hérésiarques d’Uqbar jugeaient « abominables » (dans « Tlön, Uqbar, Orbis Tertius », le conte de Borges que Sebald cite plusieurs fois), un livre imprimé, avec toutes ses limites d’objet tangible, ne saurait s’en approcher que sous une forme fragmentaire. De ces trouées n’auraient surgi que quelques faits significatifs, comme au chapitre VI le sac et la destruction en 1860 du Palais d’été de Pékin par les troupes franco-britanniques, au cours desquels disparaît à tout jamais la merveille qu’était le jardin de Yuanmingyuan.

Sebald n’a aucun sens des paragraphes, dont certains s’étalent sur plus de dix pages et forment des chapitres à part entière à l’intérieur des chapitres ; là où n’importe qui irait à la ligne (mais précisément il n’est pas n’importe qui), Sebald commence une nouvelle phrase précédée d’un tiret demi-cadratin. Mais il sait faire durer ses phrases, malgré ou grâce à leur monotonie apparente. Elles forment des masses, des éboulis qui emportent tout sur leur passage, comme cette falaise qui recule sous l’effet de l’érosion et entraîne dans sa chute la ville de Dunwich, que le narrateur anonyme découvre au cours de sa marche le long de la côte est de l’Angleterre.

Cette déambulation est un voyage à travers le temps et la mémoire, malgré l’oubli et les disparitions. Le style beige PC de Sebald est la gangue où il fige pour mieux les conserver les trésors qu’il a rapportés. Et la gaieté, me direz-vous, qui siérait si bien à sa mélancolie ? Je demanderai à Sontag.


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