Inventez vos propres règles

Ou la nécessité de briser le jeu pour le continuer par d’autres moyens.

Inventez vos propres règles
Mary Cassatt, Woman Bathing (détail), 1890-1891. Source : The Art Institute of Chicago.
Keep going and it will get better — Kae Tempest, « Salt Coast », The Line is a curve.

L’une des (nombreuses) règles cachées du club est : Un écrivain un peu sérieux invente ses propres règles. Et il le fait pour continuer de jouer ; en dépend la survie de son imagination, qu’une règle inopportune suffit à enrayer.

Quand je parle de règles, ne pensez pas à quelque chose d’aussi codifié qu’un sonnet, mais plutôt aux règles souples et tacites de la politesse, qui varient d’une culture à l’autre. On découvre parfois un écrivain qui invente à lui seul une culture à part entière, une forme où couler sa sensibilité, et qui en est l’émanation naturelle.

Idéalement, le club a pour ambition de vous aider à comprendre à quel jeu vous voulez jouer en écrivant, qu’est-ce que vous voulez faire avec la littérature. Car il n’y a rien de pire que de jouer à un jeu qui n’est pas fait pour soi. Cela dit, il n’y a pas de mauvaises règles, mais toutes ne sont pas faites pour vous. Comment trouver celles qui vous conviennent ?

En commençant par accepter qu’il n’y ait pas de bonne manière de faire ou d’absolu à atteindre. Vous pouvez à peu près tout tenter, aussi laissez votre sensibilité s’exprimer sans la cadenasser par des règles prématurées. On ne se rend pas compte à quel point la raison censure la part la plus spontanée de l’imagination par des idées reçues sur ce que devrait être la littérature. Désolé, ça ne ressemble à rien de connu, c’est irrecevable. (L’inverse n’est pas vrai : ce n’est pas parce que ça ne ressemble à rien que c’est davantage recevable. Il faut encore trouver les règles qui lui donnent sa forme définitive.) C’est pourquoi, à un moment où à un autre, que vous le vouliez ou non, vous allez devoir être cet emmerdeur que l’on appelle un briseur de jeu.

Le joueur qui s’oppose aux règles, ou s’y dérobe, est un briseur de jeu. — Johan Huizinga, Homo Ludens.

Ce ne sont pas tant les règles qu’il s’agit de briser, puisqu’aucune n’est mauvaise en soi, que leur acceptation irréfléchie. Contestez-les comme un enfant de trois ans demandant à tout propos : Pourquoi ?

Ce que j’aime chez Sebald est ainsi moins son style que son audace de concilier des règles de jeu a priori incompatibles, empruntées à des genres aussi contradictoires que l’essai, la fiction plus ou moins autobiographique et le récit de voyage. Pareil chez Chris Marker, dont je parlais encore hier soir. Sans Soleil est un essai caché à l’intérieur d’un récit de voyage qui lui-même prend la forme de lettres que l’alter ego fictif du réalisateur adresse à l’inconnue non moins fictive qui nous les lit. Il y a plein de raisons pour lesquelles ça ne devrait pas fonctionner, et pourtant, Chris Marker a trouvé là une forme qui exprime sa sensibilité.

De là l’importance d’une culture personnelle riche en archétypes. Non pas pour les imiter (ce serait de toute manière impossible), mais pour se faire une idée de la multitude de jeux disponibles et des règles à recombiner pour en inventer de nouvelles. Et écrire la littérature que l’on aimerait lire et qui n’existe pas encore.

La règle première du club est : Toute règle qui vous empêche d’écrire est bonne à jeter. Nous inaugurons ainsi le dernier cycle de l’année, une olympiade des « jeux imaginaires ».


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Même dans l’univers du grand sérieux, les faux joueurs, les hypocrites et les imposteurs ont toujours eu plus de chance que les briseurs de jeu : les apostats, les hérétiques, les réformateurs et ceux qui sont prisonniers de leur conscience.
À moins que, selon le cas fréquent, ces derniers ne fondent à leur tour une nouvelle communauté pourvue d’une nouvelle règle propre. Le réprouvé précisément, le révolutionnaire, l’homme des sociétés secrètes, l’hérétique sont extraordinairement forts pour former des groupes et, au surplus, presque toujours marqués d’un caractère fortement ludique. — Johan Huizinga, Homo Ludens.