Carré parfait
Le meilleur moment pour écrire est toujours maintenant.
Je me surprends toujours à faire preuve d’un optimisme déraisonnable quand j’envisage d’écrire pendant les vacances, avec les filles qui jouent et chahutent à côté (elles fabriquent en ce moment, avec moult chaises et tabourets, un barrage contre leur fleuve imaginaire). Et chaque fois je me dis que l’on ne m’y reprendra pas et chaque fois je suis dupe de mes propres espoirs. Je pourrais emprunter à Boris Vian un attrape-temps qu’il a dû inventer et breveter (si ce n’est pas le cas, j’anticipe un de ses oublis) et dont j’aurais bien besoin. (Dans un livre de mes filles, il y a un monstre qui s’appelle le gobe-temps ; il s’en est sans doute échappé.)
Mais je ne voulais pas attendre une semaine de plus pour vous souhaiter mes meilleurs vœux pour ce carré parfait qu’est 2025 (profitez-en, le prochain apparaîtra dans… 91 ans). Nombres à part, j’espère que cette année sera aussi imparfaite que possible et nous encouragera à écrire avec les circonstances plutôt que malgré. Mieux vaut jouer avec ses cartes qu’attendre un carré d’as.
(Entretemps, le fleuve s’est déplacé et le barrage aussi, il est en train de se reconstituer derrière moi.) Je relance et poursuis ma lettre qui sera, je le crains, aussi brève qu’une des Cartes postales de Henri J.-M. Levet. « Comme le calme de cette belle nuit lui pèse ! », me récitais-je encore dernièrement au cours de cette longue conversation avec soi-même qu’est une insomnie, dont on oublie toutes les promesses et splendeurs au petit matin, quand le corps cède enfin et s’effondre. Malgré ces lendemains difficiles, seule la nuit offre cette impression de liberté, de possibilités illimitées et de temps ininterrompu que je chéris et vous souhaite. L’écriture est une solitude qui s’élève contre elle-même.
Nous étions à Paris pour le réveillon du Nouvel An et repartons demain. Mis à part un passager acariâtre de la ligne 1, qui ne supportait pas l’insolente gaieté de nos filles, tout s’est bien passé. Nous avons pu en profiter pour voir les illuminations du Jardin des Plantes et visiter l’Hôtel de la Marine, où une sélection d’œuvres de la Collection Al Thani vous plonge dans une rêverie de prince qatarien faite de cristal de roche, d’or émaillé, de diamants et de nacre, dont vous tire je ne sais quelle influenceuse venue s’y faire photographier.
Je n’ai pu m’empêcher d’identifier le caractère utilisé dans les cartels de l’exposition (il vient de la même fonderie que celui que j’utilise sur mon site). Il faut dire que sa combinaison de souplesse humaniste et de rigidité moderne convenait assez bien aux complications de l’orfèvrerie exposée dans les vitrines. Et au lieu de m’esbaudir devant carats et éclats, je contemplais les ligatures soignées qui évitent les « collisions » entre certaines lettres (par exemple en reliant la tête du f au point du i) et regrettais les incohérences d’une salle à l’autre, avec des changements de caractère inexplicables à moins d’exclure l’inattention… Qu’est-ce qui cloche chez moi ?
Alors que l’année se ruait vers sa fin et nous emportait avec elle dans un tumulte d’obligations et de rencontres, je me suis rappelé l’importance du temps personnel – mieux, du tempo personnel. Ne pas forcer son pas, écrire aujourd’hui ce que permettent les contraintes du jour, transformer ces dernières en atouts, quitte à moins faire que d’habitude, pour continuer un autre jour. Que cette lettre s’entête à apparaître dans votre boîte de réception avec la ponctualité quasi inquiétante du comte de Monte-Cristo.
Je compte bien pour ma part continuer de vous apprendre à écrire, à ma façon indirecte et latérale, par soustraction (s’il n’y a pas de bonne manière d’écrire, puisqu’il s’agit de trouver la vôtre, il en existe de bien mauvaises à désapprendre). Comme le chantait Louis Armstrong dans Au service secret de Sa Majesté (1969), « We have all the time in the world ».
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