Écrivez pour réécrire
Écrivez ce que vous dicte votre imagination sans vous corriger, vous aurez toujours le temps de réécrire plus tard.
… le bizarre procédé de travail de Sebastian consistant, en cours de composition, à ne pas biffer les mots qu’il venait de remplacer par d’autres — Vladimir Nabokov, La Vraie Vie de Sebastian Knight.
Le marathonien courant un sprint que vous êtes n’a pas le temps de nettoyer les pelures de gomme qu’il laisse sur son passage. Aussi ne gommez pas, ne raturez pas (ce serait comme se couper la parole, n’aurait aucun sens) et continuez d’avancer.
Votre imagination vous parle, notez ce qu’elle vous dicte, même si vous ne savez pas de quoi il s’agit. Vous comprendrez après, en vous relisant (mais surtout pas maintenant). Vous n’avez pas le temps de vous corriger, de tout polir, votre imagination vous fait confiance pour la suivre, il serait mal avisé de l’interrompre – attends un peu, j’ai une parenthèse à refermer. Vous savez que vous écrivez pour réécrire ensuite, inutile d’être précieux ou précautionneux. Écrivez vite et mal, c’est-à-dire sans chercher à bien écrire. C’est là que votre sensibilité déliée découvrira l’inédit.
Laissez seulement au pauvre moi chargé de vous réécrire de quoi s’orienter, des notes et des signes. Pensez au héros amnésique que Guy Pearce interprète dans Memento de Christopher Nolan, qui se tatoue pour plus tard (quand il les aura oubliées) les informations dont il aura besoin, pense-t-il, pour coincer le meurtrier de sa femme. Une carte sur la peau. (Ne suivez pas cet exemple à la lettre.)
Mais plutôt : Développe ce passage-là (+ 150 mots), contracte celui-ci pour retendre l’image, dilate ici le temps pour mieux souligner la contradiction du personnage qui sinon passerait pour une incohérence, etc. Aidez votre moi futur, aimez-le. Il ne restera pas là à se demander ce que vous avez bien voulu dire à tel endroit, la note abandonnée derrière vous l’aidera à vous retrouver.
Tant que vous continuez d’écrire, vous vous offrez la possibilité de réécrire, et c’est dans la réécriture que survient le meilleur. Un premier jet ne vaut rien, n’est que le plongeoir d’où s’élance le nageur.
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